samedi 28 février 2009

Grrrrrrrrrrr.....


Ce matin, je lui pose un implant contraceptif: 24 ans, "socialement difficile", 2 enfants placés depuis 2 mois, une vie sexuelle anarchique, sans contraception, sans protection...
Bref, consultation et pose tout à fait normales, un peu de stress de la piqûre, détente, mise en condition, respiration... normal. Dernière question avant la pose :" ok, vous n'êtes pas enceinte ?" " non, j'ai eu mes règles il y a 3 jours"... c'est parti...
Et l'implant une fois posé, bandage fait, papiers remplis : "je suis bien contente, et tranquille de ce côté-là maintenant, parce que je pense que mes règles, cette fois-ci, c'était sans doute une fausse couche. Il y avait des caillots gros comme ça, et ça m'a fait bien mal!"

Grrrr, ç'aurait été sympa de me le dire avant la pose, madame, on aurait pu vérifier...

En illustration, papyrus égyptien de Carlsberg VIII, traité gynécologique (XIIè dynastie, 1991-1786 av. JC) : " Autre méthode pour distinguer une femme qui engendrera, d'une qui ne le fera pas. Fumigez ses parties avec des excréments d'hippopotame. Si elle vomit immédiatement, elle n'enfantera jamais. Si elle laisse aussitôt s'échapper des vents de son derrière, alors, elle enfantera."

mercredi 25 février 2009

Lieux d'accueil (2) : l'hôpital par juxtaposition


La fin du Moyen-Âge voit une période de transition dans l'architecture hospitalière. En effet tous les établissements d'assistance et de charité ne sont pas conçus et construits à partir de rien. Ils ne sont pas tous formés d'une chapelle ou d'une communauté isolée au bord d'une route de pèlerinage. Dans les villes, des fondations se créent autour de communautés religieuses, mais aussi à l'initiative des autorités municipales ou de bienfaiteurs privés. Prenant de l'ampleur, la fondation englobe peu à peu les bâtiments adjacents.
Si l'on prend l'exemple de l'Hôtel-Dieu Saint Eloi de Montpellier, on s'aperçoit qu'il s'agit d'une juxtaposition de l'Hôtel Dieu, fondé en 1183, avec l'hôpital "Robert", fondé par un laïc, Robert Pellier, à la même période. On retrouve encore sur le plan les deux chapelles adjacentes. Le nom de "Saint Eloy" n'est retrouvé qu'au XIVème s. Ces structures considérables prennent une importance majeure dans le paysage sanitaire de la ville. A la fusion des deux hôpitaux, en 1222, on dénombre 10 frères et 3 sœurs. En 1324 il y a 47 lits d'hommes et 10 lits de femmes. Pour l'époque, c'est beaucoup ! L'activité n'est pas limitée au soins des malades, mais aussi à l'accueil des hôtes de passage : voyageurs, pèlerins, indigents...

On y voit pour la première fois au XVème s. la participation aux soins des médecins, chirurgiens ou apothicaires. Ils y donnent des soins gratuitement aux pauvres, en échange d'une exonération d'impôts par la ville. Prenant de l'ampleur, l'Hôtel-Dieu Saint Eloy déménage, tout en restant dans les limites de la ville médiévale. Les agrandissements successifs se font donc par acquisitions progressives des maisons et îlots alentours. Après 1600, on isole certains résidents dans des lieux d'accueil spécifiques, comme un début de "spécialisation" : les "petites maisons" accueillent les malades psychiatriques(3), un ilôt est réservé à la maternité(4). Au XVIIème, l'Hôtel-Dieu accueille jusqu'à 200 malades (hommes, femmes ou enfants). Les bâtiments sont divisés en 23 longues salles portant des noms de saints, au bout desquelles on retrouve encore un autel. On trouve aussi un amphithéatre, l'école de Médecine toute proche commençant à envoyer étudiants et professeurs à l'hôpital.

La vocation d'accueil se modifie au cours du temps. On n'y accepte plus que les indigents de la ville (ou les militaires) souffrant de maladies aiguës. Il existe des salles pour les fiévreux, les blessés, les femmes, les vénériens, les galeux... Le personnel est formé d'infirmières laïques et, de 1667 à 1965 (!), des sœurs de la Charité. Les malades chroniques ou les hospitalisations "pour raisons sociales" sont adressés dans d'autres structures, dont je vous parlerai au prochain épisode...

Les aphorismes de Toto (3)


Un patient qui revient de chez l'ostéopathe avait, en général, "une vertèbre déplacée" (et parfois plusieurs !!!). Heureusement, le professionnel manipulateur "lui a remise en place".

Depuis, ça ne va pas forcément mieux, mais au moins, ton patient sait qu'il y avait un défaut de fabrication dans son anatomie.

vendredi 20 février 2009

La noria


Elle a 18 ans. Elle arrive du Cameroun, envoyée par sa famille en France pour avoir plus de chances dans la vie. Accueillie par des cousins, elle fait connaissance avec la vie moyenne d'un immeuble gris de banlieue parisienne. Ni défavorisée, ni favorisée, la banlieue, juste anonyme. Elle s'accroche. Elle passe un bac pro. Elle fréquente un voisin, un beau black sénégalais. Ils flirtent un peu, puis beaucoup.  Il finit son apprentissage: il sera électricien, il sait qu'il aura toujours du travail. Il pourra lui offrir un chez-eux. C'est de l'autre côté de Paris... Tant pis, à deux, on n'est jamais seule.

Elle a 20 ans. Elle ose lui dire qu'elle a un retard de règles, même si elle sait qu'il n'a pas trop envie d'avoir un enfant. Il n'a tellement pas envie qu'il la frappe. Une fois. Puis une deuxième fois car elle ne veux pas avorter. Il part, ne rentre pas de quelques jours. Elle est seule, avec son ventre qui s'arrondit. Il revient, mais ne lui parle plus. Du tout. Dans le même studio, c'est pas facile. Il se met de plus en plus en colère, tout seul, sans lui parler. Elle a peur. Un jour il revient avec un ami : "tu pars, c'est pour t'aider à porter tes affaires".

Elle a 21 ans. Elle est maman. Elle a trouvé un meublé à la journée, puis s'est fait héberger chez des connaissances. Ses cousins ne peuvent plus l'accueillir, avec un bébé de 6 mois, c'est vraiment pas possible. Son temps se passe entre la sécu, la PMI, les assistantes sociales, mais surtout en tête à tête avec son bébé. Lui, il tête. Il tête tout le temps. Pour exister, pour survivre. Dix fois, quinze fois par jour il demande le sein. Elle le garde contre sa peau, lui donne son lait. C'est tout ce qu'elle a à lui offrir, ce qui sort de ce corps qui maigrit, qui s'épuise.

Elle a 22 ans. Un soir, dans un couloir, un homme lui barre le passage. Elle a crié. Elle a griffé. Personne n'a entendu. Elle est restée couchée à pleurer dans ce couloir noir une partie de la nuit. Puis quand elle a senti ses seins se gonfler de lait, elle s'est relevée, est retournée vers son petit homme qui l'attendait sans comprendre pourquoi cette absence. Elle a ravalé ses larmes et repris sa vie. Seule. En silence.

Elle a 23 ans. Elle se sent plus légère. Elle a trouvé un amoureux. Un antillais. Il veut l'emmener, lui faire changer de vie, accueillir ce grand garçon. Il habite dans le sud. Elle laisse Paris et ses plaies pour s'installer là-bas, il lui paie un studio, car il travaille et voyage beaucoup. Elle aime ce soleil méditerranéen, même si elle ne sort pas beaucoup, restant coincée chez elle par son petit de presque 2 ans. Malgré les précautions, elle se rend compte qu'elle est enceinte. Il lui dit qu'il a déjà une famille: une femme, trois enfants, une maîtresse suffisent à son bonheur. Il ne veut pas d'autre enfant... Elle cède, elle met fin à cette grossesse. L'homme ne reviendra pas.

Le petit est souvent malade, elle se sent très fatiguée, elle va beaucoup chez le docteur, pour elle ou pour lui. Ou simplement pour parler, pour déposer sa solitude. Elle s'affaiblit et tombe facilement malade : endométrite post-IVG, crise de paludisme, anémie qui révèle une thalassémie. C'est beaucoup en quelques mois, pour une seule personne, qui vit en vase clos 24h/24 avec un jeune enfant, qui demande le sein à tout va. On remet en branle la PMI, des visites à domicile, une association de parents isolés, une place en halte garderie pour la libérer un peu. Mais la solitude est trop forte. Elle rend les clés de son studio, invitée par une tante à la rejoindre à Toulouse.

Elle a encore 23 ans. Elle a déménagé pour la seconde fois en moins d'un an. Nouvelle ville, nouvelle chambre. Elle veut repartir. Elle réussit à arrêter d'allaiter son petit garçon de 2 ans. Elle veut faire une formation d'auxiliaire de soins. Il va en halte garderie une ou deux demi-journée par semaine, mais il faudrait une crèche pour qu'elle puisse s'inscrire à sa formation.

Ce soir elle appelle en pleurs le docteur de son ancienne ville. Après deux mois d'accueil, la tante compatissante lui a dit que pour payer son loyer, ce serait bien qu'elle fasse un peu le trottoir. Sinon, elle ne la garde plus, elle et son enfant. D'ailleurs elle lui a déjà préparé ses affaires pour qu'elle trouve un nouveau logement.

ça ne s'arrêtera donc jamais ... ???

mercredi 18 février 2009

Η τεχνη μακρη (Ê teknê makrê)

N'étant pas un brillant hélléniste, je change un peu le nom du blog, m'apercevant avoir fait une grosse faute d'orthographe (comment, personne n'a remarqué ? :-)

Reprenons donc le premier aphorisme d'Hippocrate, qui nous est transmis par la traduction de Littré (1844) : "La vie est courte, l'art est long [H TEXNH MAKPH, pour ceux qui ne suivent pas], l'occasion fugitive, l'expérience trompeuse, le jugement difficile (...)"

Traduttore, traditore... N'en déplaise à M. Emile Littré, il me semble que la traduction est mauvaise. Bien que cette phrase me paraisse tout à fait adaptée à l'apprentissage comme à l'exercice quotidien de la médecine, je trouve que considérer cette profession comme uniquement un art est une erreur. Beaucoup de professeurs s'enorgueillissent de nous transmettre "l'art médical", intellectualisation sublimée du soin. C'est faire peu de cas de l'apprentissage pratique et de l'aspect manuel de ce métier.

Pour les grecs anciens, qu'est-ce qu'une teknê ? Il s'agit d'une somme d'un savoir et d'un savoir-faire, d'une connaissance intellectuelle et d'une habileté manuelle ou de manipulation d'un concept. Un certain nombre de professions ou d'activités sont ainsi dénommées, aussi variées que la guerre, la construction des bateaux, le théâtre ou la médecine. On se rapproche déjà plus du concept d'artisanat, que d'art à proprement parler.

Je retrouve encore dans la formation reçue, en amphi, au chevet de malades hospitalisés, en stage chez un praticien, ce double aspect de savoir et de savoir-faire. Malheureusement, cette double compétence est parfois niée. En stage de cancéro, alors que j'étais comme mon co-interne complètement abandonné dans le service en dehors des deux visites magistrales hebdomadaires, le chef de service répétait régulièrement "il n'y a aucun mérite à effectuer un acte technique, n'importe qui peut répéter le geste sans comprendre ce qu'il fait". Etait-ce une manière de se dédouaner, de se déculpabiliser de nous larguer, seuls pour poser voies centrales, ponctions lombaires, injections de chimio intrathécales, cathéters fémoraux, BOM, myélo... Peut-être... En tout cas, c'est réducteur, pour ne pas dire méprisant...

Avec du recul, je pense que la richesse de ce boulot se situe vraiment dans ces deux aspects à la fois. Etre capable d'utiliser son humanité pour écouter, son intelligence pour comprendre, ses cinq sens pour examiner, ses mains ou sa parole pour soigner. Il faut prendre conscience de la multiplicité des champs d'action pour ne pas se couper d'une part de soi-même. Il n'y a pas plus de mérite à détecter, par l'interrogatoire, une pathologie bizarroïde, qu'à déceler un souffle cardiaque ou faire un plâtre, un pansement ou quelques points de suture.

Et, donc, quand grand-papa Hippocrate nous indique que la teknê médicale est longue à acquérir, ne nous tournons pas uniquement dans nos cours, questions d'internat ou dictionnaires médicaux. Exerçons aussi avec allégresse nos mains sur les corps souffrants, n'ayons pas peur du pus, du sang ou de la merde, de toutes ces sécrétions qui sont aussi humaines que les choses de l'esprit. Il faut coudre et plâtrer, panser et palper pour ne pas oublier que l'équilibre psychologique des patients, c'est aussi l'équilibre de leur corps.

- Cadran solaire de la façade de la faculté de Médecine de Montpellier

mardi 17 février 2009

Les aphorismes de Toto (2)


" Quand tu essaies pendant 5 minutes d'ouvrir la porte de chez toi avec la clé du cabinet médical, en pestant parce que ça ne marche pas, c'est qu'il est vraiment temps de prendre des vacances..."

vendredi 6 février 2009

Le premier médiblogueur


Tu es perdu, interne en premier semestre, dans un hôpital périphérique d'une ville qui n'est même pas notée sur les cartes ? Tu n'as pas internet dans ton bureau ? Il n'y a pas de réseau de téléphone ? Le premier médecin disponible à la ronde est mort d'épuisement ? Tes malades ne sont pas, mais vraiment pas du tout comme dans les livres que tu as pourtant appris par cœur pour préparer tes examens ?

Lis-donc "Récits d'un jeune médecin", de Mikhaïl BOULGAKOV, tu te sentiras tout de suite moins seul ! Un texte court, facile à lire. Un petit livre de poche (pas cher !) qui raconte son expérience de tout jeune médecin sorti de la faculté et muté dans un dispensaire de campagne au font de la forêt russe en 1916-1917. A lire ensuite, "Morphine", une nouvelle publiée plus de dix ans plus tard par le même auteur. Une longue descente aux enfer de la dépendance à la morphine d'un de ses collègues de faculté placé dans la même situation. Une allégorie de la révolution russe, vécue comme une catastrophe par Boulgakov.

Ces deux ouvrages, tels des miroirs, décrivent les deux facettes de l'isolement total du jeune médecin, confronté à des situations plus abracadabrantes les unes des autres. Une bonne bibliothérapie !

mardi 3 février 2009

La faucheuse est farceuse


" - Et bien, vous connaissez mon voisin, en parfaite santé. Ben hier, il s'est couché pour faire la sieste, comme d'habitude. Vous me croirez pas : quand il s'est réveillé, et ben il était mort ! Tout raide ! "

" - C'est pas banal... "

dimanche 1 février 2009

Lieux d'accueil (1) : l'hôpital-chapelle

Durant la période médiévale, en occident, la tradition judéo-chrétienne associe intimement le fait religieux avec la maladie, et plus encore avec la pauvreté. On considère que donner accueil et soin aux pauvres, mendiants ou pèlerins, c'est accueillir le Christ souffrant. Assistance et Charité sont les maîtres-mots de cette période historique. Quant aux possibilités thérapeutiques, elles sont encore considérées comme dépendantes de la volonté divine.

Deux phénomènes donnent une impulsion majeure au développement hospitalier. Les pèlerinages se développent : Rome, Compostelle, Jérusalem, sans compter les centaines de pèlerinages locaux, de quelques heures à quelques jours de marche seulement. Le second phénomène est l'extension de la pandémie de lèpre dans tout le monde connu. On voit alors se développer dans, puis aux abords des lieux de cultes, des structures d'accueil et de soins pour les pauvres passants, ainsi que des lieux d'isolement pour les lépreux (les ladres) : les maladreries.

Certains ordres religieux se "spécialisent" dans des accueils spécifiques. Les Antonins (création en 1095 dans le Dauphiné) s'occupent des personnes souffrant du Feu de St Antoine, ou mal des ardents (c'est l'intoxication à l'ergot de seigle, donnant des douleurs et des gangrènes des membres. Par extension, et par absence de différenciation clinique claire, ils traitent aussi les souffrants d'érysipèle). Les Hospitaliers de St Jean de Jérusalem (1099) comme la Milice des Templiers (1118) assurent la protection des pèlerins.

D'autres ordres ont une vocation d'accueil très large. C'est le cas de l'Ordre du St Esprit (créé vers 1180, à Montpellier), qui a pour vocation l'accueil des hommes comme des femmes, pauvres passants, enfants abandonnés, maison de naissance. La plupart de ces ordres essaiment dans toute l'Europe, et sont parfois encore en activité.

L'organisation architecturale, quoique variée, est basée sur le même modèle. L'édifice principal est la chapelle, ou l'église, qui sert de salle des malades. Des frères, vivant dans des 
bâtiments adjacents, y donnent les soins. Pas de bancs ou de chaises comme de nos jours. On y dort, on y mange, les frères y sont inhumés : c'est un lieu d'abri ouvert. Seule l'abside reste dédiée au culte. Peu à peu des bâtiments sont construits à côté de la chapelle, mais celle-ci reste centrale. Même lorsque les structures prennent une grande importance, comme pour les remarquables Hospices de Beaune, l'organisation des salles des malades reste calquée sur la nef d'une église.

- Manuscrit 1039, BM, Tours, "Saint loys fonda lostel dieu de paris", 1498
- Plan de la maladrerie Saint Lazare de Montpellier : la chapelle est au centre et sert d'entrée à l'édifice.
- Grande salle-chapelle des pôvres, Hospices de Beaune : un autel dédié au culte est placé au fond de la salle