mercredi 25 août 2010

Surprise


Euh, je pense que je me suis mal exprimé sur mon précédent post...
J'aime, j'adore, j'idolâtre le chocolat (mon tour de taille aussi), et toutes ces petites attentions. Mais au-delà de la simple gourmandise, je suis toujours extrêmement touché lorsqu'un patient m'offre quelque chose de "plus" que la rémunération socialement validée et remboursée par l'assurance maladie. Une bouteille, quelques tomates, des gâteaux, du chocolat, un dessin, un livre... J'en suis même surpris à chaque fois (dans la série "j'ai pas confiance en moi et je n'y crois pas que j'ai pu apporter quelque chose de suffisamment inattendu dans une relation médecin/patient pour mériter ce petit truc en plus"...). Je trouve même que cette relation s'en trouve renforcée par une donnée gourmande, émotive, curieuse.. humaine en somme.
J'ai même imaginé dans mes utopies médicales une consultation de "médecine patagone" (les lecteurs de Jean Raspail apprécieront j'espère le clin d'œil), ou de "bibliothérapie". Basée sur le rêve, l'utopie ou l'imagination, soigner les souffrances à grand coups de mots ou petites touches de vers. Se baser non pas sur le Vidal, mais sur la Pléiade. Rechercher les nouveaux traitements dans le magazine Lire plutôt que chez Prescrire. Ou bien une consultation de médecine gourmande, où le salaire serait versé en gâteaux au miel et le traitement pioché dans le guide Michelin.
Bref, imaginer qu'une relation de soin ne se passe pas uniquement par l'échange ordonnance/carte vitale/chèque...

Mais je m'éloigne du sujet, il faudra que je développe le concept de médecine patagone un peu plus tard...

Je vais raconter la précédente histoire différemment.

J'ai reçu le mois dernier un charmant monsieur à la retraite, un peu maniéré, assez expansif, très volubile et très attachant. Célibataire endurci, la consultation a beaucoup tourné sur ses précédents médecins qui ne l'écoutaient pas comme il fallait, sur les malentendus, bref, on lui avait dit du bien de moi dans le bus (sic) et il s'était dit pourquoi pas... Ok, pourquoi pas. L'après-midi même, je reçois une bouteille de champagne de marque avec un mot dithyrambique sur mon écoute unique et cette petite attention pour sceller notre nouvelle et profonde amitié. Soit.
Une semaine après, je reçois pour la première fois un jeune homme, avec un courrier du monsieur, m'expliquant que son "protégé" est en vacances chez lui et qu'il a besoin d'une avance d'ordonnance pour du subutex car il en a consommé un peu plus que d'habitude. La semaine suivante, une demande pour certifier que je l'ai vu, le jeune homme, en consultation, depuis plusieurs mois, afin d'attester pour la préfecture qu'il résidait bien en France depuis longtemps, chose que bien sûr, aussi sensibilisé que je puisse être aux barrières administratives de notre beau pays pour les personnes sans visa, je ne pouvait attester. J'ai laissé un message au gentil monsieur. J'attend encore sa réponse...

vendredi 20 août 2010

Les aphorismes de Toto (5)

Quand un patient t'offre une bouteille de champagne ou un panier de légume dès la première consultation, en te disant que vraiment son précédent médecin ne le comprenait pas, c'est qu'il risque d'y avoir des problèmes très rapidement... ça sent l'arnaque !!

samedi 14 août 2010

Le testament de l'ange.

Un jour, j'ai rencontré un Ange. Ne riez pas, je ne déconne pas, ça fait maintenant presque 15 ans que ça m'est arrivé, et je suis maintenant persuadé que j'ai croisé dans ma vie un authentique être surnaturel. Non non non, j'ai rien fumé... J'ai longtemps lutté contre cette idée, si éloignée du rationnel de la vie ambiante. Je crois bien n'en avoir parlé à personne, mais il faut bien que je raconte cette histoire un jour... (Bon, j'ai pas viré mystique, c'est pas un vrai ange avec des ailes et tout ça, hein, juste symboliquement parlant, mais ça compte aussi, non ?)...

Donc me voilà tout jeune carabin. Depuis deux ou trois semaines, les résultats du concours sont tombés. C'est l'été, il fait chaud, les étudiants ont pour la plupart déserté la ville après avoir passé plusieurs jours à fêter leur réussite. Blancs comme des cachets de Guronsan®, nous avons enchaîné les apéros, les grillades sur la plage, les rêves les plus fous sur les mystérieuses soirées faluche ou nos futures carrières, nos craintes du bizutage et des premières séances de dissection. Insouciant, je ne sais pas encore qu'un sujet mal distribué annulera une épreuve dans le courant de l'été, remettra en jeu le sacro-saint classement et nous obligera tous à repasser en septembre une nouvelle fois les "sciences humaines et sociales". Pour la petite histoire, tout s'est bien fini, tout le monde a été (re)pris, et quelques autres en plus... Mais pour le moment, il n'y a pour moi rien de plus beau que la vie et j'ai déjà la tête pleine de projets, à commencer par un beau voyage cet été, bien mérité, et les yeux pleins d'étoiles. C'est dans cet état d'esprit que je remets les pieds à la fac quelques jours avant de partir. Ce devait être, je crois, pour aller chercher un ultime document administratif, ou alors simplement que je n'étais pas sûr de ne pas m'être trompé en lisant les résultats et que j'avais besoin de les revoir affichés au tableau, loin de l'agitation des semaines précédentes.

Et effectivement, il n'y a plus vraiment d'agitation dans ce bâtiment. C'en est même un peu impressionnant, tellement le silence y est présent. Pour la première fois, je prends conscience de rentrer dans "mon" école. La grande porte du bâtiment médiéval qui abrite la fac n'est plus qu'à moitié ouverte, horaires d'été obligent, le concierge doit faire la sieste. Dans le grand hall, au plafond haut et ouvragé, je suis entouré des bustes de bronze d'un certain nombre d'illustres médecins. La porte de la salle des actes et celle de la salle du conseil sont ouvertes, et je peux y voir tapissant les murs, jusqu'au plafond, les dizaines de portraits des médecins issus de cette même école : Rondelet, Rabelais, Chaptal, Lapeyronie.... et combien d'autres encore. Inutile de vous dire que je me sens dans mes petits souliers. D'autant plus qu'il n'y a vraiment, mais vraiment personne, et que chaque pas résonne longtemps dans cette pièce vide.

Bien bien bien, c'est pas tout ça, mais le rosé pour ce soir est en train de se réchauffer dans mon sac, je vais vérifier une dernière fois que j'ai bien été pris et que je ne me suis pas trompé de ligne. Sur le grand panneau des résultats, un bon millier de noms, associés à un chiffre. Depuis quelques semaines, les "P2" s'en sont donné à cœur joie, raturant, recherchant le premier, le dernier, y ajoutant des commentaires sur les classements, les noms de famille... pas toujours très fin, comme humour, mais il paraît qu'il faudra s'y habituer... Je cherche, avec encore une petite boule d'angoisse au ventre... ouf, c'est bon, je suis reçu !!! Je me retourne rassuré, et PAF, je me trouve nez à nez avec mon ange. Bon, pas vraiment avec des plumes, en fait d'ange, il ressemble plutôt à un petit vieux tout ridé, en costume, l'œil rieur et pétillant, s'appuyant sur sa canne pour enchaîner ses quelques pas.

- Alors, ça a marché ?
- Euuh... oui, j'ai eu mon concours...
- Bon, alors, vous devez avoir passé plusieurs mois dans le doute non ? Dites-vous bien que maintenant, quoi qu'il arrive, vous finirez par devenir médecin un jour. Soignant. Et ce n'est pas rien... vous avez cinq minutes ? Asseyons-nous, voulez-vous ?

Impressionné, je l'ai suivi sur quelques mètres, jusqu'à un banc du dernier rang de la salle des actes, ne sachant trop quoi dire, ne sachant trop quoi faire. Alors je l'ai écouté. Ce serait trop long de vous raconter le détail, d'autant plus que je ne me souviens pas de tout. Je ne sais pas vraiment si cela a duré cinq ou vingt minutes. Je me souviens de l'émotion, du regard, du son de la voix. Il ne m'a rien dit de lui. Il m'a juste parlé de la place du médecin dans la relation de soin, et de la confiance aveugle que beaucoup mettent en ce professionnel. Il m'a parlé de la responsabilité qu'a le soignant vis à vis de ses émotions, au delà de l'excellence technique qu'il doit viser. Qu'il doit apprendre à les connaître, ces émotions, et à les reconnaître, pour les utiliser ou les cacher à bon escient au cours de la consultation. Que si le silence est souvent riche en révélations, rien n'est pire que le silence du soignant face à un questionnement d'un patient. Que les émotions ressenties lors d'une consultation peuvent interférer sur la consultation suivante. Comment rassurer et recueillir des confidences de quelqu'un d'anxieux sur une pathologie bénigne, quand vous venez d'annoncer une maladie incurable à votre patient précédent !! Puis il m'a donné une petite pochette, une simple pochette perforée en plastique transparent, comme j'en avais des centaines dans mes classeurs de cours de P1. A l'intérieur, trois photocopies d'articles de revues. Quelques simples pages. Des sujets tournant autour du thème de la conversation, de la relation entre soignant et soigné, de la gestuelle de l'un et de l'autre, de l'importance de l'expression du visage, des cicatrices émotives qui y sont laissées par nos patients.

Je feuilletais ces articles, quand j'ai entendu le banc craquer, je sentais qu'il se levait. Lorsque j'ai quitté la salle des actes pour retourner dans le hall, quelques secondes plus tard, il n'y avait plus personne.

Vrai de vrai !!!

Illustration du début du texte : "l'ange rieur", cartulaire du prieuré de la Haye-aux-Bonshommes, BM d'Angers, ms 0856, f. 207v, XVè~XVIè s.

jeudi 12 août 2010

Les bons mots du Dr Golio (2)


En mettant l'otoscope dans l'oreille du patient :
- Tirez la langue et dites bien fort : Aaaaaaaaah ...

(et le patient, docile, répéta bien distinctement : Aaaaaaah ... )

mardi 10 août 2010

De la maladie, par Virginia Woolf

Entre réalité et écriture. Qu'est-ce qui va influencer la création? Qu'est-ce que la valeur de l'existence humaine par rapport à l'univers lorsque la machine bien huilée de la vie quotidienne est interrompue ?

En 1926, Virginia Woolf écrit un court texte de réflexion qui est publié dans la revue de T. S. Eliot. Elle constate que lorsque la maladie se déclare dans nos vies, une grande part de notre personnalité est prise dans un piège incontrôlable, dans une tour d'observation de l'univers humain. Au delà des souffrances physiques et de l'état d'épuisement, la clairvoyance psychologique s'impose.

Deux notions s'affrontent et se complètent. Tout d'abord que l'intellect le plus fin reste impuissant à décrire l'état de maladie. En effet, autant il lui paraît aisé de nommer les souffrances de l'âme, si riches en émotions et en sentiments, autant l'état de dépendance physique, de souffrance, le simple état fiévreux, ne retrouvent dans notre langage que des mots vides et plats. C'est tout le travail de création littéraire qu'elle remet en cause, constatant que nos souffrances physiques ne sont au final décrites qu'en utilisant à mauvais escient des idées associées aux tourments affectifs, intellectuels, psychologiques. Comment alors se nommer "écrivain" alors que l'on ne peut donner qu'une vision tronquée de l'existence humaine...

Une autre idée qui s'impose dans sa réflexion est le vide de l'existence humaine, qui gravite dans un monde immense et indifférent aux préoccupations qui nous semblent si chères. Que se passe-t-il dans le monde lorsque nous sommes alités, fiévreux, impuissants à réaliser nos gesticulations quotidiennes ? Rien. La Terre continue sa route, les marées ne sont pas modifiées, le Monde continue son existence telle une implacable meule écrasant dans sa rotation les êtres sans même les ressentir.

Loin d'un essai déprimant et sombre, j'ai été touché par la modernité et la fluidité de ce très court texte. Ou plutôt par le sentiment d'intemporalité qui en émane. Les mots et les idées s'enchaînent aisément, comme l'esprit de l'alité qui s'évade, d'une pensée à l'autre, pour finalement trouver un ensemble concret d'idées. Le médecin moderne scientifique et pointilleux dira qu'il n'est plus vraiment d'actualité de rester alité plusieurs semaines pour une "fièvre", comme elle décrit cela... Bien... les mots changent peut-être, l'état de "maladie" reste pourtant bien présent. Il n'empêche, au delà de toutes les souffrances morales qui sont les points d'accroche de beaucoup de nos petits blogs médicaux, les situations de maladies physiques restent difficiles à mettre en mots. J'ai fait une petite revue des blogs que j'ai l'habitude de lire. Et effectivement, relativement peu de mots à propos de la souffrance physique, de l'état de maladie, intimement, physiquement vécu... Beaucoup de billets sur les souffrances morales induites par l'état de la maladie, souffrances du malade, du soignant, colères, coups de gueule, déceptions. Mais du physique, peu... Combien sont pauvres les mots pour dire qu'un être interrompt son rythme de vie pour se coucher et attendre.

A rajouter, donc, dans la case "bibliothérapie" du soignant qui aime réfléchir à ce qu'il fait.

"Il y a, avouons-le, une franchise toute enfantine dans la maladie : des choses sont dites, des vérités échappent étourdiment que la prudente respectabilité de la santé dissimule."

lundi 2 août 2010

Révélation ( encore un coup de Darwin ? )

Je commence à avoir vu quelques pieds dans ma courte vie médicale. Et pourtant, je viens de m'apercevoir que chez quasiment tout le monde, les 2è et 3è orteils sont beaucoup plus solidarisés que les autres. Évolution naturelle ? Annonce d'une fusion prochaine ? Reliquat natatoire ? Solidarité des milieux ? Le mystère reste entier...

Étonnant, non ?